Shabbat Goy
Un très bon livre, très documenté sur Isaac Bashevic Singer, le prix Nobel de Littérature, souvent décrié au sein même de sa communauté pour sa vision du monde juif polonais d’avant guerre. A la recherche de ses propres racines, Agatha Tuszynska trouve dans les romans et nouvelles d’Isaac Bashevis Singer le plaisir sans cesse renouvelé de lire une œuvre littéraire de qualité, mais aussi de découvrir des personnages et de lieux fascinants et inconnus qui évoluent dans le monde disparu des juifs polonais d’avant-guerre, monde annihilé par l’holocauste et poussé dans l’oubli par 45 ans de communisme. Singer sert littéralement de guide à l’auteur dans une Pologne où l’absence de la communauté et de la culture juive prive le pays de tout un pan de son histoire. Singer, le seul auteur écrivant en yiddish à avoir reçu le Prix Nobel de littérature était en effet un chroniqueur infatigable de cet univers bruissant d’activités.
Agata Tuszynska, environnée des vestiges silencieux de ce monde perdu cherche à le décrypter (cimetières envahis par les ronces, cinémas installés dans d’anciennes synagogues),et décide de le recréer à partir des souvenirs des rares survivants qu’elle a su débusquer. Elle met ses pas dans ceux d’Isaac Bashevis Singer. Sa quête l’entraînera dans des villages polonais où vivaient à l’époque des membres de la famille Singer, dans des cafés de Tel Aviv , des quartiers juifs de New York, en Floride où est mort Isaac Bashevis Singer en 1991 et au New Jersey où il est enterré. Elle a alors cette phrase émouvante et symptomatique : « Je suis arrivée en retard pour sa mort ». Elle n’hésite pas à poser les vraies questions à ses interlocuteurs et réussit à démêler l’écheveau complexe du tragique et de l’indicible. Avec une grande pudeur, elle aborde les problèmes complexes de la coexistence entre juifs et polonais. Elle reconstitue ainsi peu à peu une sorte de puzzle, ou mieux de tapisserie, où chaque bribe de mémoire s’imbrique dans un ensemble d’où émerge un paysage où le manichéisme est absent. Il en ressort un livre étonnant, tout à la fois essai biographique, reportage littéraire, et vibrant hommage à l’écrivain chantre d’un monde englouti. Car c’est bien le talent de conteur sans égal d’Isaac Bashevis Singer qui a su à jamais préserver de l’oubli et garder vivants des hommes et des lieux aujourd’hui disparus.